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L’éthique à table

9 mai 2016, par Untitled Magazine
Un gros pavé de 500 pages préfacé par Aymeric Caron sur les raisons d’opter pour une alimentation plus saine, à première vue on fait difficilement plus indigeste. Passez outre ! Les premières pages de cette enquête menée par Peter Singer et Jim Mason vont vite vous tenir par les tripes. Car de tripes, il est assez vite question.

En démontant le système agroalimentaire actuel, les deux journalistes expliquent à travers des descriptions parfois insoutenables la cruauté de l’élevage industriel, le traitement des poulets de batterie, des bovins, des porcs. Rien ne nous est épargné et la lecture des tortures infligées au bétail a de quoi traumatiser plus encore que les vidéos morbides d’abattoirs qu’on peut voir diffusées sur les réseaux sociaux. On y découvre également des incohérences choquantes comme par exemple le fait que le ministère de l’agriculture américain considère juridiquement les lapins comme de la volaille ce qui n’obligent pas les éleveurs à les étourdir avant de les abattre. L’élevage de poisson en prend aussi pour son grade, même si l’on a une fâcheuse tendance à moins s’offusquer de la souffrance des animaux aquatiques dont les conditions de pêche sont encore plus intolérables que celle de la viande. De la même façon, on se scandalise sur une activité comme la chasse, or les animaux abattus en forêt n’ont rien en commun avec le bétail industriel. L’ouvrage est aussi là pour nous confronter à nos paradoxes.

Trois familles, trois régimes, trois visions du monde…

L’enquête se construit ainsi. Les deux auteurs rencontrent trois familles américaines au régime alimentaire distinct. La première est une famille modeste, au mode de consommation représentatif de la majorité de la population américaine (et occidentale) : produits issus de la grande distribution à bas coût, ni bios, ni de saison.  La seconde plus soucieuse d’un engagement éthique, consomme majoritairement des produits bios et de saison, et s’octroie encore le plaisir coupable d’une alimentation carnée. La troisième, très engagée prône une alimentation végétalienne. Et enfin les journalistes nous font part de leur rencontre avec un groupe « freegan » (dont l’approvisionnement est exclusivement gratuit et provient donc en partie de bennes à ordure). L’enquête porte sur les habitudes de consommation propres à chaque famille et permet d’aborder tous les modes de production de ce qui va finir dans notre assiette. Elle illustre aussi comment l’éducation et la classe sociale peuvent interférer sur notre façon de manger, « les circonstances individuelles qui motivent nos achats et nos choix alimentaires ».

Plus l’alimentation est éthique, plus elle se conjugue à un engagement solidaire voire politique. Car si l’industrie agroalimentaire dont le système reste très opaque pour le consommateur se révèle peu ruineuse à la caisse, elle représente en réalité un coût bien plus considérable sur le plan écologique. La pollution des sols, les ressources gaspillées pour l’élevage d’animaux destinées à l’abattoir sont la cause de terribles dégradations de la planète. Quelques chiffres alarmants qu’il est toujours bon de rappeler : un américain mange en moyenne 90 kilos de viande rouge, de volaille et de poisson par an (c’est 10 kilos de plus qu’en 1970). Les excréments et urines d’un élevage porcin intensif peuvent égaler ceux d’une ville entière. L’agriculture consomme 70% de l’eau douce utilisée dans le monde. On survit aisément sans viande, mais pas sans eau. Ce qui justifie naturellement le parti pris de l’ouvrage pour le régime végane. Le livre surprend aussi par son impartialité. Notamment quand on aborde le mastodonte de la mal bouffe Mac Donald qui contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas le plus à blâmer. Certes, les steaks sont loin d’être bios et les conditions d’élevages certainement pas idylliques mais les engagements éthiques de l’entreprise se renforcent. Elle finance ainsi les recherches sur le bien-être animal et a interdit les antibiotiques similaires à ceux que consomment les humains dans l’alimentation du bétail. Comme on dit, faut voir le verre contaminé à moitié plein (ou plutôt à moitié vide, enfin on espère).

Yes we vegan

Parmi les solutions le régime végétalien ressort comme la seule solution viable pour préserver la planète et ses multiples habitants, mais on aborde aussi la question locale. Si manger local apparaît comme une bonne idée sur le plan éthique, elle peut s’avérer parfois plus dommageable sur le plan énergétique. En consommant des tomates hors saison issus de circuit court, le coût de la serre surchauffée pour faire pousser les tomates aura un impact écologique bien plus grave que l’importation de tomates de l’autre bout du monde. Le mieux est encore de consommer local et de saison. Le bio est bien sûr une recommandation mais il va de pair avec un questionnement, peut-on faire du bio industriel ? A priori les labels bio certifient de meilleures conditions d’élevages, une rémunération plus juste également, mais pas forcément d’aliments plus nutritifs. Il est donc préférable de consommer bio sans toutefois se voiler la face, ce n’est pas parce que je mange bio que je n’aurai pas de maladies, la consommation de produits bios reste avant tout un acte militant pour la planète. Et si l’on peut voir d’un mauvais œil des marques ultra capitalistes s’approprier petit à petit ce label c’est aussi parce que progressivement les conditions de productions s’améliorent pour l’environnement.

Il est regrettable que l’ouvrage se perde parfois en nous enrobant leur discours de moralité, comparant les veaux à des enfants à qui l’on enlève leur mère, ou s’appuyant sur le film Babe pour prouver que les porcs sont affectueux. Jusqu’à parfois tenter de nous sensibiliser en nous mettant à leur place « Imaginez-vous dans la situation d’une truie prisonnière à vie d’un bâtiment fermé (…) vous serez tuée jeune mais déjà usée par vos conditions d’existence ». C’est dommage, mais peut-être faut-il passer par ce ton sentencieux pour avoir un impact sur les comportements.

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L'éthique à table, Peter Singer et Jim Mason, Edition l'Age D'homme, 552 pages, 19 euros

   


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