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Frank Pavich : "Alejandro Jodorowsky change la vie des gens pour le meilleur"

14 mars 2016, par Untitled Magazine

Ce Jeudi 10 mars, la projection en avant-première du documentaire Jodorowsky's Dune au UGC les halles a fait salle comble. Plus de 500 personnes rassemblées en présence d'Alejandro Jodorowsky, de Michel Seydoux et de Frank Pavich. Un engouement significatif de la qualité d'un documentaire très attendu, puisqu'il ne sort en France que 3 ans après sa sortie américaine. A cette occasion, on a choisi d'aller à la rencontre du passionnant réalisateur Frank Pavich, pour parler amour, destin et imaginaire...

Comment as-tu artistiquement rencontré Alejandro ? A travers son travail, une recommandation ?

Frank Pavich : Je le connais grâce à ses films, grâce à El topo, Holy Mountain... Alejandro est l'une des rares personnes que je connaisse à avoir tant de facettes, et c'est ce qui fait de lui un être si intéressant. Certaines personnes ne le connaissent qu'à travers ses livres. Un de mes amis ne le connaissait qu'à travers ses BD et n'avait aucune idée du fait qu'il réalisait aussi des films ! Est-ce qu'on peut dire ça de beaucoup de personnes ? Tout le monde connait Lynch comme réalisateur. Peut-être qu'il dessine et qu'il peint un peu, mais la différence c'est que ceux qui regardent ses travaux savent que « c'est le mec qui fait des films, le réalisateur ». Mais Alejandro est si parfait, si complet sur tous les points ! Il est vraiment unique.

Et c'est cette complétude qui t'a donné envie de travailler avec (et sur) lui ?

Eh bien je ne le connaissais pas personnellement, je ne connaissais que ses films. Alors quand j'ai appris à propos de cette histoire, j'ai pensé que ça en ferait un conte fascinant, un film fascinant, une histoire qu'on devrait raconter et que les gens devraient voir. Je voulais voir à l'intérieur de ce livre, en découvrir tous les secrets. C'est fascinant, terriblement excitant... c'est aussi simple que ça !

Comment as-tu donc pris connaissance du livre, de l'histoire ?

On errait un peu, on cherchait des sujets et on est tombés sur ces films qui n'ont jamais été faits, si près d'avoir été réalisés mais jamais vraiment terminés. Dune a toujours été le plus intéressant parce que c'est le plus grand, le plus fou, et qu'il implique Jodorowsky, qui lui-même est déjà incroyablement fascinant ! Et puis on a commencé à rassembler les pièces du puzzle, son équipe, d'Orson Welles à Salvador Dali, et la musique qui devait être faite en partie par les Pink Floyd... Epoustouflant ! Je trouve que c'est l'histoire la plus incroyable autour d'un hypothétique « Et si ? ». Dune est bien plus grand qu'un film, sa vraie histoire est à propos d'inspiration, à propos de cet homme, de son processus de création. Et je pense que c'est ce qui fait toute la valeur de cette aventure : plus que regarder le film, ou plus que (pour moi) faire le film, on a fini par faire quelque chose d'encore plus grand que ce à quoi l'on pensait quand on a commencé.

Qu'est-ce que vous aviez prévu en commençant le projet ?

On n'avait rien prévu ! On ne savait pas du tout où ça allait nous mener, mais tu sais le plus tu filmes, le plus tu édites, le plus tu comprends la vraie perspective de Jodorowsky sur son projet. Et ce n'est pas la perspective de quelqu'un de triste.

C'est une des raisons pour lesquelles le film est si réussi et si humain ! Les intervenants n'expriment pas du tout le regret ou la tristesse, tous semblent plutôt ravis d'avoir fait partie de cette expérience. Est-ce que tu as senti cette joie chez eux quand tu les filmais ?

Bien sûr ! Ce qui est intéressant c'est que tous les gens impliqués soutiennent toujours Alejandro, ils l'aiment ! Ils reviennent sur leur expérience d'il y a 40 ans, celle qui a eu le plus de valeur dans leur vie. Pour la plupart, c'était leur premier film ! Chris Foss n'avait jamais bossé sur un film avant, Giger n'avait jamais bossé sur un film avant... Et Foss en particulier, qui a fait beaucoup de films après Dune, se dit souvent « J'aurais aimé savoir à quel point Dune était spécial. Tout ce que j'ai fait depuis a été trop mécanique, c'est plus une industrie. Alejandro nous a laissés être libres, être nous-mêmes ». Alejandro leur a fourni une opportunité unique et spéciale.

Une fois qu'Alejandro a accepté de me laisser faire le film, il est devenu très simple de contacter tout le monde, de son équipe à des gens comme Nicolas Winding Refn. Je pense qu'ils sont vraiment loyaux envers lui, et le respectent profondément.

Penses-tu que si le film avait été fait, il aurait eu l'impact qu'il a maintenant ? Parce qu'il y a quelque chose de mystique à propos de ce film, on ne peut s'empêcher de penser : « Et si ça avait été le plus grand film de tous les temps » ?

Je pense que les choses dans ta tête, tout ce que tu peux imaginer sera toujours le plus fort. Peut-être qu'en fait le film n'a jamais été fait pour être réalisé. Peut-être qu'il était censé être ainsi. Le but d'Alejandro était de changer le monde, et il l'a fait ! Ses idées se sont répandues et ont changé le monde ; peut-être que c'est plus puissant comme ça, plus puissant que s'il n'y avait eu que le film. Sous ce format, ça pénètre tout.

Si l'on revient à la réalisation du documentaire, le travail effectué sur les dessins de Moebius mis en animation est vraiment épatant. Comment en as-tu eu l'idée ?

Quand on a l'opportunité de regarder tous les dessins, on a l'impression qu'ils te crient presque dessus « Je veux être animé, s'il te plait ! » (Rires). Tout est là, comment peux-tu ne pas les animer ? C'était une façon de partager ça avec les spectateurs. Dès le début, j'ai dit que je voulais respecter le travail de Moebius. On peut voir les lignes de crayon de Moebius, les peintures de Foss... Ce sont des peintures, des dessins, des œuvres d'art. Il s'agissait juste de les prendre et de les mettre en mouvement, et permettre à l'audience de remplir petit à petit les blancs.

Oui c'est vraiment un travail réussi, et l'on se sent privilégiés quand on assiste au plan séquence situé en plein milieu de l'espace, qu'on peut voir les astéroïdes et les vaisseaux de Giraud se côtoyer dans la galaxie.

Oui je me dis tous les jours « Wahou, j'ai vraiment fait ça ? C'est incroyable ! » (Rires)

D'ailleurs le travail sur la musique est tout aussi impressionnant puisqu'on a l'impression que c'est la bande-son qu'aurait pu avoir Dune. Comment as-tu choisi Kurt Stenzel ?

C'est un vieil ami à moi ! Crois le ou pas, c'est un chanteur de New-York hardcore des années 80-90. Je le connaissais avant N.Y.H.C (le premier documentaire de Frank Pavich sur la scène Hard Core new yorkaise dans les années 90), il avait un groupe appelé « The 6 violence ». On s'est rencontrés, on est devenus amis et il a quitté New York pour San Francisco, a continué à faire de la musique hard core mais il a rapidement changé de style pour finir par faire cette musique électronique un peu bizarre. Mais que j'adorais ! Et quand j'ai commencé à faire le film je me suis dit « holy crap il faut que ce soit la bande-son du film » ! Je l'ai appelé et comme il connaissait Jodorowsky c'était bon. Un peu comme Jodorowsky, je savais que c'était lui qu'il me fallait. Ca devait être Kurt Stenzel. C'était le destin.

As-tu travaillé dans le même esprit que Jodorowsky en tournant le film ? Dans un esprit empreint de spiritualité ?

On était obligés ! Surtout sur un petit documentaire comme ça, avec un petit budget où personne n'est payé (Rires) : tout le monde doit y croire ! J'avais besoin de guerriers spirituels, c'était très dur de faire ce film, il n'y avait pas d'argent, on l'a fait à partir de rien. Peut-être qu'on ne l'aurait jamais fini, ça aurait pu être la malédiction de Dune ! (Rires) Avoir ces guerriers spirituels c'était la seule façon de traverser tout ça, on l'a tous fait parce qu'on aime ça. Dans l'industrie du cinéma, peu de gens se font beaucoup d'argent, donc les gens font des films parce qu'ils aiment ça, pas parce que ça paie les factures.

Quel genre de relation avais-tu avec les intervenants ?

C'est simple : tout se résume à la relation d'amour que les gens ont avec ce projet. Tout le monde était excité d'être filmé, c'était leur façon de dire merci à Alejandro d'avoir changé leur vie. Dan O'Bannon est mort avant qu'on fasse le film, mais sa femme a pu témoigner pour lui. Il adorait Alejandro et jusqu'à sa mort, il a conservé un t-shirt qu'il lui avait offert : c'est ça l'effet qu'a Alejandro, il change la vie des gens pour le meilleur. Il leur a donné de nouvelles libertés, de nouvelles perspectives de carrière. Ils étaient heureux de partager ça mais aussi de voir leur travail enfin mis au cinéma. Toutes les routes mènent à Dune, et non à Rome !

Est-ce que faire ce film a changé ta vie ?

Bien sûr ! Evidemment ! Ce film a changé ma vie, et je serais pas ici à Paris à discuter avec toi sans lui, je n'aurais pas été au cinéma hier soir avec plus de 500 personnes pour nous écouter sans lui. Je n'aurais pas de carrière ! Ca me donne, j'espère (Rires) une carrière comme O'Bannon et Foss ! Il m'a donné un cadeau en me donnant cette histoire. Il aurait pu dire "non, pourquoi je te ferais confiance ?" Mais il m'a fait confiance, il travaille à l'instinct, il n'a même pas demandé à voir les films que j'avais fait avant. Je serai toujours reconnaissant de ce qu'il m'a donné.

Est-ce que tu penses que tu as réalisé quelque chose avec ce qu'il n'a pas lui-même pu réaliser ?

Oui je pense ! 40 ans plus tard, le pouvoir du film a grandi, c'était le bon moment pour approcher Alejandro et lui faire raconter son histoire. Il y a 20 ans il n'aurait pas été prêt, c'était trop douloureux. Il avait besoin de temps pour se séparer de tout ça. Il avait besoin de voir les gens avec qui il avait travaillé grandir artistiquement mais il avait aussi besoin de continuer sa carrière.

Et penses-tu que Dune est l'oeuvre de sa vie ?

Non, Dance of reality est pour moi son meilleur film, bien plus personnel. Et il n'arrête pas de s'améliorer, c'est bien possible que son prochain film surpasse Dance of reality et devienne mon préféré ! Vraiment, on ne peut pas dire ça de beaucoup de monde.

Est-ce que tu as senti pendant le tournage du film que les gens attendaient un tel film ?

Je n'en avais aucune idée ! Pourtant, je pense quand même que les gens s'attendaient à une version du Dune d'Alejandro. Mais je pense qu'on leur a donné plus, parce qu'on leur a donné Dune multiplié par 10 : on leur a donné Alejandro. Et c'est beaucoup plus puissant.

Comment tous les intervenants ont réagi en voyant le film ?

Ils étaient ravis, et très surpris ! Ils ont vu que j'avais respecté l'histoire et le film. Ils étaient surpris de voir à quel point le projet final était réussi. Par exemple, on ne se rendait pas compte en tournant que le documentaire allait être aussi drôle ! Comment on aurait pu deviner que ça allait prendre une telle forme ?

Qu'as-tu pensé du Dune de Lynch ?

Comme Alejandro a dit, ce n'est pas un film de Lynch. Ce n'est pas son film. Ce n'est pas un succès. C'était le film le plus cher à cette époque, le budget a explosé tous les plafonds. Je ne pense pas que ce film était censé exister. Ils ont forcé les choses. Lynch a seulement fait Dune pour pouvoir faire Blue Velvet. Dino De Laurentiis (le producteur de Dune) avait dit à Lynch « Je te laisse faire Blue Velvet si tu fais Dune pour moi ». Et ça se voit dans les films, Blue Velvet est vraiment un chef-d'oeuvre, c'est LE film de Lynch, alors que Dune ne lui correspond pas du tout. Lynch ne reconnaît d'ailleurs pas son Dune, il a retiré son nom des dernières versions.

A un moment du documentaire, Jodorowsky évoque un souhait : celui que quelqu'un reprenne un jour son Dune et le réalise enfin. Penses-tu avoir été cette personne ?

Je ne sais pas, peut-être ! J'ai juste raconté son histoire, et je pense que c'était la façon la plus puissante de reprendre son projet. Alors oui, on pourrait reprendre le storyboard, les dessins et le scénario, quelqu'un pourrait le filmer avec des acteurs mais ce ne serait pas le Dune de Jodorowsky. Son Dune ne peut pas être fait sans les guerriers spirituels. C'est passé. Mais les idées sont là et c'est bien plus important comme ça.




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