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Francesca Woodman, l'ange noir

13 mai 2016, par Untitled Magazine

"Les choses du réel ne me font pas peur, seulement celles qui sont au fond de moi."

La Fondation Henri Cartier Bresson présente jusqu’au 31 juillet 2016, "On Being an Angel", le magnifique travail de l’artiste américaine Francesca Woodman. Ses sombres photographies nous amènent, le temps d’une danse presque macabre, douce et innocente, dans les abîmes douloureux de son intériorité.

Francesca Woodman, from Eel Series, 1978 © Betty and George Woodman NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed. Francesca Woodman, from Eel Series, 1978
© Betty and George Woodman
NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed.

Le spectre de l’artiste maudit plane au-dessus de cette figure tristement légendaire. Francesca Woodman a vingt-deux ans lorsqu’elle se jette du haut d’un immeuble de l'East Side, mettant tragiquement fin à ses jours. Cette mort, décidée aux prémices de sa carrière et habituellement trop largement contée, elle témoigne de la noirceur, des tourments de celle qui créait pour exorciser ses peurs. L’univers de l’artiste, agité, candide, doux, dur et incroyablement mature transparaît dans des clichés le plus souvent en noir et blanc. Francesca Woodman a travaillé neuf ans et a laissé dernière elle plus de 800 clichés, la plupart pris avec son Yashica 6x6. Une centaine d’œuvres, de vidéos et de textes sont présentés à la Fondation. Ses images sont pensées, croquées et laissent place à une composition où rien n'est laissé au hasard. L’artiste chasse viscéralement ses torpeurs en les jetant sur le papier. La mise en scène de son propre corps en fait état.

Francesca Woodman, On Being an Angel # 1, 1977 © Betty and George Woodman NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed. Francesca Woodman, On Being an Angel # 1, 1977
© Betty and George Woodman
NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed.

Figer l'intériorité

Le petit format, format le plus fréquent, oblige le spectateur à s’approcher au plus près de l’image. Son œil alors immense, semble regarder par la lucarne d’une maison de poupée abandonnée dont les pièces portent le lourd secret d’une âme bouleversée. Il s’introduit dans l’intimité d’une chambre sans meubles, dans celle d’un salon aux murs décrépis où la présence du corps de l’artiste se fait ombre, se fait trace. Ces clichés sont étranges, paradoxaux, dérangeants et excessivement séduisants. Leur minutie intrigue.

Les questionnements sur l'identité paraissent dans des portraits qui, bien qu'ils prennent presque toujours l’artiste comme modèle, la dissimulent, la cachent, la suggèrent. Une feuille porte l'impression figée de son visage, impression qu'elle placarde sur son corps, sur d'autres corps, ce qui sème le doute sur la personne photographiée. Déliant le visage du reste des chairs, elle remet en cause des siècles d'imagerie féminine. Ces corps deviennent communs, sans âme. Statues d’une multitude, représentation blanche de toutes. Bien que la portée de son travail ne soit pas féministe, les tourments auxquels elle se heurte transcrivent une gêne de l'apparat (diptyque Horizontale et Verticale, 1976) et dénoncent les diktats portés sur les apparences extérieures quand l'intériorité hurle ses souffrances et ses malheurs.

Francesca Woodman, From Space, 1976 © Betty and George Woodman NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed. Francesca Woodman, From Space, 1976
© Betty and George Woodman
NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed.

Contrastes vécus

Cette duplicité se joue de l’intime à l’extime. Duplicité qui paraît dans une série de clichés prise en 1976. Une boîte en verre, une vitrine où elle entre et sort, où elle se love, où elle cherche à se cacher. Le temps est également fréquemment traité. Sa fuite se matérialise dans les contrastes entre les murs décrépis, les ruines et la blancheur, la pureté des lignes du corps de la jeune femme.

Au temps, s'allie le mouvement. Le flou fait partie intégrante de ces compositions posées : jeu entre visible et invisible, capture de l’insaisissable, ce tracé obscur s’amuse de la fugacité de l’instant. L’usage du miroir rappelle ce que Sartre nommait "la dialectique du regard", un jeu où le "je" n’est jamais fidèle à ce qu’il est réellement mais où il est toujours forcé, autre, se dissimulant derrière une image construite. Soi comme miroir de soi, voilà qui plonge le travail de l’artiste dans des interrogations bien philosophiques.

La solitude comme muse

Mais par-dessus tout, c’est la solitude, souveraine entre toutes, qui habite les photographies de Francesca Woodman. Une solitude à crever le cœur, une solitude douce, passive et latente. Ce poids de l’exil forcé, de l’isolement incompris et fatal à chacun, la photographe le combat en s’emparant de tout ce qu’elle peut trouver. Elle semble tenter de combler ce vide qui la ronge. Elle essaie d’entrer dans les murs, se recouvrant de papier peint (Then at one point I did not need to translate the notes, they went directly to my hand), colle son corps nu tout contre eux, elle s’y fond, s’y suspend. Elle enroule ses poignets d’écorce, va se perdre dans la forêt et lève les bras, prolongement des branches qui l’entourent. Elle se mêle à cet environnement personnifié, seul rescapé d'un monde désert. Ce sentiment de délaissement, d’incompréhension transpire de ces photographies d’une indescriptible manière et fait éclore en nous, visiteur, le charme triste de ces clichés intimes.

Le corps, seule image du soi qui puisse être offerte à autrui, seule image qui se comprenne d’un coup d’œil, reste le seul saisissement qui soit. C'est ce que Francesca Woodman nous donne à voir, une façade belle, innocente et noire, mise en scène dans les douleurs de son auto incompréhension. Une belle exposition qui ne laisse pas indemne. A l’image de la photographe, elle est touchante, étrange et belle, simplement belle.

Francesca Woodman, Untitled, 1977-1978 © Betty and George Woodman NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed. Francesca Woodman, Untitled, 1977-1978
© Betty and George Woodman
NB: No toning, cropping, enlarging, or overprinting with text allowed.

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Francesca Woodman, On Being an Angel, Jusqu’au 31 mai 2016 Fondation Henri Cartier Bresson, 2, impasse Lebouis, 75014 Paris




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