UNTITLED MAGAZINE
Liao Yiwu est un poète chinois. Au départ peu engagé politiquement, faisant partie de la génération post-maoïste des années 80, le tournant du Printemps de Pékin et Tiananmen le place au centre de la répression chinoise après la publication d'un poème engagé et endiablé, « Massacre » (écrit quelques heures avant les premiers coups de feux). S'ensuit pour lui une descente aux enfers et l'incarcération. De cette expérience il écrira « Dans l'Empire des ténèbres », récit concentrationnaire à la hauteur d'un Soljenitsyne (d'après les mots de Robert Badinter). Ce qui lui vaudra l'exil. A travers ces épreuves il rencontre une multitude de gens, d'une richesse infinie dans ces heures sombres, notamment un chrétien et sa Bible, chose extraordinaire en prison. Mais c'est surtout sa rencontre avec le Dr Sun, médecin errant chrétien totalement dévoué à la communauté, qui le met sur les traces du christianisme en Chine. Il signe ici une enquête magistrale sur un christianisme fondamentalement opposé aux valeurs athées du communisme, mais qui revendique, aujourd'hui, 70 millions de croyants.
L'histoire de l'implantation du christianisme en Chine commence à la fin du XIXe siècle, début du XXe siècle. Suivant les traces des missionnaires du XVIe siècle, de nombreux Occidentaux viennent prêcher la bonne parole en Asie, et en Chine. Dans un pays morcelé par les puissances coloniales, et sujet à de nombreuses crises, pénuries, maladies, les missionnaires s'intègrent facilement, et convertissent de nombreux Chinois. Puis la Seconde Guerre Mondiale voit l'arrivée des Japonais, repoussés difficilement par les Nationalistes et les Communistes alliés. S'ensuit la défaite des Nationalistes et l'édification d'un régime communiste maoïste. Les Chrétiens considérés comme agent de l'impérialisme occidental, et propriétaires fonciers, sont chassés, torturés, soumis, massacrés. Cependant malgré les répressions, les réformes, les menaces le pouvoir totalitaire peine à éradiquer une communauté qui proclame sa liberté d'expression, et offre un sens dans une société en mutation. D'autant plus admirée de plus en plus par une frange grandissante de la population.
Liao Yiwu nous offre ici le témoignage de quelques grands personnages de communautés locales. Alternant récit personnel et interview de personnalité, il nous montre le panorama d'une minorité qui a extrêmement souffert de l'oppression communiste. Soumises aux pires traitements mais à la foi inébranlable, il donne la parole à des personnes de 70 à 90 ans qui ont vécu et subi le joug communiste, tout en continuant à propager leur foi et leur croyance en Dieu. Témoins et victimes de souffrances inconcevables ils échangent, naturellement et en tout amitié, avec un poète, qui lui aussi a connu les affres de la répression. Il interview également d'autres générations, notamment des plus jeunes, à la conception religieuse parfois totalement étrangère à celle des anciens. Il nous offre ainsi des portraits hauts en couleur, tendres et bienfaisants. Parfois avec humour, parfois avec tristesse, mais toujours avec une simplicité bienveillante.
Inspiration poétique, grands personnages, et plus petits, ton chaleureux mais aussi froid et crus, Liao Yiwu nous fait découvrir, tout comme lui, à travers ses yeux de novice, tout un pan de l'histoire chinoise, religieuse et asiatique. Histoire du christianisme en Chine, c'est aussi l'histoire, par ceux qui l'ont vécu, du communisme chinois, de son totalitarisme, et de sa formidable oppression d'une population qui a cru à un futur plus radieux.
Dieu est rouge, Liao Yiwu, Books Edition, 464 pages, 22 €
