L'hibernation en été.
Des débats après le festival de Cannes concernant le film auquel a été remis la Palme d’Or, il y en a encore eu cette année. Quand certains affirment que Winter Sleep marque l’apogée du langage cinématographique de son réalisateur, d’autres rétorquent que le jury a récompensé un film taillé pour recevoir le prix suprême, privilégiant un élitisme poussiéreux à l’ouverture à un cinéma plus explosif, dont Xavier Dolan serait le représentant. Vous espériez une réponse à cette épineuse dispute ? Et bien…
Le nouveau film du réalisateur turc Nuri Bilge Ceylan mérite une réflexion qui ne peut se détacher de ses précédents longs-métrages. Ne connaissant pas cette œuvre, primée à plusieurs reprises (deux Grand Prix pour Uzak et Il était une fois en Anatolie et un prix de la mise en scène pour Les Trois Singes), je ne suis pas en mesure d’affirmer avoir compris le film et ses enjeux. L’article ne s’arrête pas ici pour autant !
De Winter Sleep, j’ai pu retenir plusieurs choses. Tout d’abord, Bilge Ceylan sait filmer. Les plans sont d’une beauté folle, nous offrant les plaines d’Anatolie dans toute leur profondeur et l’harmonie naturelle qui les construit. Ces longues et larges étendues travaillées par les massifs rocheux répondent à la situation mentale des personnages, immobile et constamment en changement, modelée par chaque seconde qui s’écoule. Les relations entre les hommes sont tendues, toujours, soumises à une importante inégalité financière, culturelle voir même morale. Tout cela du point de vue du personnage principal, et donc permettant un renversement de toutes ses valeurs si changement de point de vue il y a (le père de famille locataire). La maîtrise du silence fait passer des émotions brutes, peut-être même fatigantes, prises en compte la dureté et la cruauté des sentiments qui se dévoilent.
Contrastant avec le reste du film, trois séquences de (très) longs dialogues articulent et font basculer le récit vers une nouvelle marche, toujours plus basse dans l’échelle de la condition humaine. Et c’est là que le bât semble blesser. Si l’on sent que Bilge Ceylan a voulu prendre le temps de laisser les échanges s’envenimer naturellement, deux questions apparaissent à l’esprit : pourquoi est-ce aussi long ? En effet, bien que les dialogues soient parfaitement écrits, un sentiment de répétition et de lassitude l’emporte au final. A chaque fois ; pourquoi avoir fait le choix d’une si forte littérarité? Si l’opposition entre deux êtres et leur règlement de compte sur la longueur sont le résultat recherché, on sent le poids de l’écriture sur chaque ligne de dialogue, ce qui rend vain le système mis en place. Le glissement doit être naturel et quoi de plus inconcevable que des dialogues si pesants ? On a entendu à plusieurs reprises le nom de Bergman parmi les influences du réalisateur. Celui-ci, notamment dans ses Scènes de la vie conjugale, arrivait à des changements infimes et pourtant dévastateurs dans les relations du couple lors de longues scènes de dialogues, et tout cela se faisait « naturellement » (à force d’utiliser ce mot, je finis par me demander si c’est bien celui que je cherche à exprimer).
Je ne peux que conseiller d’aller voir Winter Sleep, bien que le sentiment général qui l’emporte face au film soit l’ennui, et ce malgré la forte cinématographie de l’ensemble. Maintenant, on peut s’interroger sur la stratégie marketing du distributeur, qui a décidé de sortir un film turc de 3h16 en plein été.
Mais c’est un autre problème (edit: dont une possible réponse est à lire ici).
Synopsis: Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements..
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