
Dès la séquence d’ouverture de Moonrise Kingdom, Anderson matérialisait ses envies de construction symétriques dans le bois, glissant sa caméra dans chacune des pièces de la jolie maison des Bishop, comme une sorte de coquetterie théâtrale. Les personnages, encore inconnus, vibraient d’indifférence devant les yeux lubriques des spectateurs, se contentaient de vivre dans le confort d’une fourmilière coupée à la verticale en arrangeant leur short ou leur jupe montés jusqu’au nombril.
The Grand Budapest Hotel signe l’aboutissement de cette vision du monde, au point où la monomanie de son créateur s’organise directement à l’écran sous la forme de l’hôtel éponyme, médiocre et somptueux à la fois, sorte de gros gâteau rose bonbon. Pas une scène n’échappe à la méticulosité de son créateur, chacune d’elles abritant en son sein mille-et-un détails fantasques et colorés, où s’agitent des personnages aux caractères singuliers. Car que serait une maison de poupée sans poupées ? Anderson use et s’amuse avec ses petits amis, certains retors, d’autres bizarres, tous très attachants. Le casting, d’une diversité et d’une richesse notables, semble prendre un plaisir fou à l’entreprise. Plaisir communicatif.
Wes Anderson ne restreint heureusement pas ces petits bonshommes à la symétrie de l’hôtel et au 4/3 malicieux. Il leur permet d’évoluer au sein d’un pays imaginaire situé au cœur de l’Europe de l’Est, acteur à ses dépens des sombres évènements qui agitent la région. Le monde artistique doit gérer ses affaires avec la cruauté certaine des hommes, mais ne se gêne pas, comme le fait Monsieur Gustave, de défendre son honneur, son train de vie exceptionnel, avec amabilité ou cédant à la violence éclair et libératrice. Mais plus qu’un pamphlet aigre contre les totalitarismes, le choix de l’arme s’est porté sur le burlesque enchanteur et cruel qui faisait les films des débuts du cinéma.
L’attention et la perfection visuelle que le réalisateur porte au microcosme du Grand Hotel ne sont au final que les deux composantes de sa révérence entière à cet art, à l'image d'une échelle se faisant pellicule l'espace de quelques secondes. Tout le film, grognant et s’esclaffant au son de la merveilleuse b.o d’Alexandre Desplat, laisse s’écouler un parfum nostalgique et amoureux à destination du cinéma d’aujourd’hui et surtout d’hier. Machine à rêves dont l’aura magique s’étend par-delà les montagnes sombres et non partageuses de la Zubrowka.
Et Wes Anderson de continuer à s’amuser comme un gosse solitaire avec sa maison de poupées.
Synopsis: Les aventures de Gustave H, propriétaire d’un célèbre hôtel et de Zéro Moustafa, son dévoué, lobby boy en apprentissage. L'héritage d'une richissime cliente va agiter les couloirs colorés de l'hôtel, alors que les armées ZZ se déploient sur l'ensemble de Zubrowka, mystérieux pays au cœur de l'Europe de l'Est...
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