Alain Guiraudie touche et bouleverse avec Rester Vertical, conte inattendu, fable magique qui mêle sans effort questionnement social et errances imaginaires.
Léo est un réalisateur un peu perdu, sans domicile fixe et pantouflard. Il décide de partir à la recherche du loup en Lozère, où, au détour d'une montagne, il rencontre une bergère, Marie. Ils s'ébrouent et finissent par avoir un enfant dont Marie ne veut pas, tiraillée entre un baby blues désagréable et le manque de confiance qu'elle a en Léo. Léo s'oppose à cet abandon mais finit par bien s'en accommoder. Pourtant, Léo sombre doucement, ne travaille plus, n'a plus ni toit ni argent, et finit, poussé par la misère sociale, par retourner dans les causses de Lozère à la rencontre du loup...
©Emanuelle Jacobson-Roques
Normaliser les corps, sensuels et politiques
Guiradie a le don pour redonner au corps le naturel dont on le dépouille socialement : vecteur vital, certes, mais épiderme sensuel avant tout. Les corps ne sont pas beaux, ni lisses, ni dissimulés. Jamais pudique, la caméra dévoile les aspérités de poils qui se mêlent à des doigts lubriques, les écarts d'un vagin qui se contorsionne pour permettre la naissance d'un corps, le sexe d'un homme jeune qui s'imbrique avec le corps d'une personne âgée... De tabous, Guiraudie n'en a pas, et le naturel avec lequel sa caméra filme ces instants qui auraient pu gêner file une sensualité qui nervure le film de ses soubresauts. Une sensualité jamais vaine car elle pose, même s'ils ne sont pas théorisés, de grands thèmes politiques : le suicide assisté, la misère sexuelle, la dure condition paysanne, l'absence totale d'instinct maternel... Pourtant, le film ne tombe jamais dans l'écueil de la démonstration politisée grâce à une spontanéité permanente et, aussi, grâce au nuage de rêverie latente qui enrobe le film de ses volutes.
© Emanuelle Jacobson-Roques
Rêveries de promeneurs solitaires
Ce voile de rêverie, mêlé à une ambiance mythologique et sensuelle, permet de lubrifier des rapports qui auraient, dans un cadre différent, pu paraitre totalement incongrus : on rencontre, au bout d'une rivière, une fée psychologue (Laure Calamy) qui vit au fond de la forêt, on se lie d'amitié avec un Minotaure (Raphaël Thiery) qui occupe une ferme, on s'approche d'un loup avec un petit agneau dans les bras en guise d'offrande... Les ponts établis entre l'enfance et l'âge adulte, le monde imaginaire et le monde réel fleurissent à foison dans Rester Vertical, étonnants croisements qui ravissent les pupilles et stimulent l'émerveillement. Un émerveillement qui captive, qui retient, et qui nous attache à Rester Vertical comme au loup qui fascine autant qu'il terrorise : Un loup, brillante métaphore, face auquel il s'agira de toujours rester vertical, pour "ne pas montrer qu'on a peur".
© Emanuelle Jacobson-Roques
Alain Guiraudie montre avec ce conte touchant et lumineux qu'il n'a peur de rien, ni du corps (sensuel ou politique), ni des scories de la condition humaine, ni de la vie, qu'on la rêve ou qu'on l'embrasse. On sort touchés, émerveillés, bouleversés. A ne pas manquer.
https://youtu.be/EVBV53kq7gc