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Critique : "Préjudice", un film d'Antoine Cuypers

2 février 2016, par Untitled Magazine

Drame familial visuellement chirurgical, Préjudice dévoile subtilement l'opacité communicative des relations filiales et fraternelles, avec une précision qui permet de peindre objectivement des rapports de force et des fureurs trop longtemps couvés. C'est ainsi lors d'un repas de famille que Cédric (Thomas Blanchard), la trentaine à peine sonnée et vivant toujours chez ses parents, apprend que sa sœur attend un enfant. Si tout le monde se réjouit de cette nouvelle, elle réveille chez Cédric les relents d'un ressentiment qui se transforme progressivement en furie. Considéré depuis longtemps comme le vilain petit canard de la famille à cause de son comportement marginal, il va tenter d'établir le préjudice dont il s'est toujours senti la victime ignorée.

© Wrong Men North SPRL © Wrong Men North SPRL

Contrastant avec l'atmosphère de secret entretenue dans le Festen de Thomas Virtenberg, proche de la psychologie effroyable du Septième continent de Michael Haneke, Préjudice s'inscrit dans la lignée de ces drames familiaux qui à l'idéal domestique fantasmé préfèrent la dure réalité de relations imposées. Habitué des courts métrages, Antoine Cuypers réaffirme avec force le style développé sur petit format, qui se caractérise notamment par une percutante attention aux détails : chez Cuypers, c'est bien dans les détails qu'on trouve le diable. La musique est pulmonaire, elle tambourine avec force, répond aux pas lourds de Cédric que l'on voit courir avec appui sur tapis de course, elle tonne comme un tambour énervé et sentence comme un juge forcené. Elle sait aussi prendre des formes plus organiques, et laisser un tonnerre grondant annoncer la tempête familiale à venir. L'esthétique, aussi, est d'une précision incroyable : les couleurs sont insaturées, les plans rapprochés, et les scènes méditatives. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de rapprocher cette atmosphère contemplative à celle du Melancholia de Lars Von Trier. Dans cette atmosphère froide et angoissante de huit clos crépusculaire, les visages se déforment petit à petit, et les non dits se transforment en accusations virulentes.

© Wrong Men North SPRL © Wrong Men North SPRL

Si l'on pouvait penser que le film serait centré sur Cédric et son comportement instable (on se demande parfois s'il n'est pas à la limite de l'autisme), on assiste en fait à un absurde rapport de force et à un dialogue de sourds continu puisque les requêtes sont vaines : l'enfant attend des excuses de ses parents, qui s'attendent eux à de la reconnaissance de sa part. Les attentes sont classiques, les personnages aussi, mais interprétés par des acteurs excellents. Une mère à la Folcoche de Vipère au poing (Géniale Nathalie Baye), un père (Arno) qui évolue en marge du microcosme familial, une soeur peu empathique (Ariane Labed) et un frère ainé qui se caractérise par son absence (Julien Baumgartner), enfant prodigue dont la famille attend l'arrivée des étoiles dans les yeux. L'intelligence du scénario réside aussi dans le choix d'introduire deux figures extérieures au cercle familial, qui permettent d'échapper par procuration au huit-clos étouffant : le beau-fils un peu balourd (Eric Caravaca) et la belle-fille mal à l'aise (Cathy Min Jung) témoignent des dysfonctionnements familiaux lorsqu'ils constatent en aparté "Quelle solitude".

© Wrong Men North SPRL © Wrong Men North SPRL

Antoine Cuypers dévoile avec force l'effrayante solitude qui s'immisce au coeur de cette famille bourgeoise et dont elle tord les traits en une grimace immonde. Les personnages ne cessent de se déchirer avec rage et les émotions sont si épuisantes qu'elles les vident de leur substance : ils deviennent les pantins de leurs colères et ne sont plus que les parangons de leur souffrance. Le film frappe par la violence de ses dialogues (non sans rappeler celle du Carnage de Polanski) et par l'exponentielle tension de sa réalisation : c'est éprouvant, on sort les épaules raidies et le coeur martelant, satisfaits pourtant de l'orchestration léchée et du travail poussé sur la psychologie des personnages. Un réalisateur à suivre ! 

https://youtu.be/dI5JzcWx4Bk


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