L'attrape-rêves est d'un éclat à couper le souffle. Claudia Llosa développe une esthétique magnifique et une dense intensité émotionnelle, portées par des acteurs incroyables et une réalisation transparente. Une belle réflexion sur l'idéal de la figure maternelle et du personnage cinématographique.

A la fin des années 60, dans le grand nord Canadien, Alana Kunning, dit "Nana", élève seule ses deux jeunes garçons. Le plus jeune est malade, poussant la mère désespérée à essayer toutes les méthodes possibles et imaginables, même si cela doit se faire au détriment de ses fils... 20 ans plus tard, une jeune journaliste part à la recherche de l'aîné, devenu fauconnier de renom. Elle lui propose alors de l'accompagner à la recherche de Nana, qui est devenue guérisseuse et qui anime des séances aux confins du Cercle Polaire.

© Jose Haro

Grand nord des émotions

Claudia Llosa, dans sa filmographie, a toujours eu à coeur de filmer l'environnement comme réponse aux interrogations ontologiques de ses personnages. Ici, les grandioses images de la poudreuse canadienne répondent au sentiment d'oppression qui emplit paradoxalement le film. Le spectateur assiste, impuissant, aux combats personnels de personnages emprisonnés dans leurs propres problématiques : maladie, colère contre le parent, rage contre un monde inique... La réalisatrice parvient à faire manquer d'air une atmosphère qui devrait pourtant en être remplie, et nous entraîne ainsi avec force vers ses personnages, étendards de revendications sociales puissantes.

Refuser l'abrutissement confortable de l'idéalisation

Par l'intermédiaire de ses personnages, aussi fragiles qu'ils sont déterminés à avancer, Claudia Llosa aborde la figure de la mère sous un angle opposé à celui proposé par notre société : à la mère idéalisée et fantasmée se substitue un personnage insaisissable, colérique et abandonnique. Interprétée par une Jennifer Connelly toujours sur le fil, cette mère place le spectateur face aux contradictions d'une réalité qui dépasse l'évidence intellectuelle. Non, toutes les mères n'ont pas l'instinct maternel, et non, tous les personnages ne doivent pas être attachants ou compréhensibles.

© Jose Haro

C'est en cela que tient la force de l'attrape-rêves, qui parvient dans une atmosphère proche du huit-clos -étonnant vu l'étendue des paysages filmés- à faire se côtoyer des personnages sur lesquels aucune prise n'est possible. Fuyants, éthérés, on les observe, sans les comprendre, tentant de s'accrocher à la corde qui les mènera peut-être sur le chemin du pardon ou de la guérison. Et comme il est bien impossible de contrôler ce genre de choses, c'est à une quête inaboutie que l'on assiste, une quête dont le but tendrait à combler un manque ontologique et non-identifiable. Un trajet vers l'impossible que traduisent avec force les yeux vitreux d'un Cillian Murphy déchirant, confronté au mutisme d'une mère qui ne justifiera jamais les raisons de son départ...

L'attrape-rêves est complètement déstabilisant, porté un parti-pris se soustrayant à toute possibilité d'idéalisation, qu'il s'agisse de la figure maternelle ou de la compréhension que nous serions censés avoir de tout être. Poudreux et touchant, les pistes de réflexion qu'il déblaie timidement continuent de s'épaissir longtemps après la fin du film.

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