Il était une fois, la forêt tragique et menaçante, dans laquelle les destins de tout un casting hollywoodien se croisent : Cendrillon (Anna Kendrick), Jack et le haricot magique, Raiponce, le Petit Chaperon Rouge ainsi qu’un boulanger (James Corden) et sa femme (Emily Blunt), deux victimes de leur égoïsme lui-même responsable d’un grand désordre dans les bois.
Après l'avoir découverte sur les planches de Broadway en 1987, Rob Marshall adapte la comédie musicale Into The Woods pour la grande famille de Mickey. Autant dire qu’à première vue, le réalisateur de Pirates des Caraïbes: La Fontaine de Jouvence se jette la tête la première dans la gueule du loup. En revisitant nos fables d’enfance grâce à une vision post-moderne, il explore l’après «happy ending», n’hésitant pas à traiter des thèmes contemporains, dont le deuil et l’adultère. Un chemin rocailleux, certes, mais l’occasion était trop belle pour Disney, qui ne pouvait refuser. D’autant plus que le cinéaste se sert habilement de ses six oscars reçus en 2002 pour son premier long métrage Chicago, notamment dans l’utilisation des bons artifices pour se jouer de la physionomie du conte de fée, ici exploitée dans un aspect sombre, proche d’une image gothique qui traînerait dans un cauchemar de Tim Burton.
Rob Marshall conserve le duo compositeur/scénariste initial que formaient Stephen Sondheim (Sweeney Todd) et James Lapine, tandem en partie responsable de l’énorme succès de la pièce à Broadway. Un argument avantageux pour le déroulement narratif: dans une production où couplets et refrains tiennent lieu de répliques, la musique de Sondheim, quasiment omniprésente, rythme le film d'une harmonieuse mélodie, lui permettant également de tremper ses chevilles dans le registre comique. Si les oreilles du spectateur peuvent commencer à siffler vers la troisième et dernière partie d’Into The Woods, le casting, lui, équilibre la balance. Outre Meryl Streep, en route vers un énième oscar, la distribution permet de (re)découvrir des talents de chanteurs pas nécessairement connus à Hollywood (Emily Blunt, Chris Pine).
En dépit de quelques longueurs, au royaume de la comédie musicale, Rob Marshall est maître, et précision est son mot d’ordre. Pas un seul instant, la technique n’est indomptée, que ce soit dans la justesse de ton des acteurs (mention spéciale pour James Corden, excellent) ou dans chaque détail appartenant au développement visuel. La complexité de cette fable morale réside assurément dans ses deux niveaux de lectures, l’un enfantin, l’autre plus mûr. L’innocence envolée, l’on verra assurément un prédateur sexuel dans le personnage du loup garou (Johnny Depp), tandis que pour l’âge tendre, il ne sera jamais qu’un vilain canidé qui veut manger la gentille petite fille.
Finalement, l’ironie du sort repose là où Disney se moque de ses propres codes: un prince charmant niais, une Cendrillon incertaine, imparfaite, intelligente -elle laisse délibérément sa chaussure sur les marches du palais pour savoir si son bien aimé est sincère - sans oublier la mort, affrontée en dehors de l’épilogue. À part ce détail, ils vécurent heureux, et eurent beaucoup d’enfants.
Sortie le 28 janvier 2015 dans les salles de cinéma françaises.