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Critique : "A peine j'ouvre les yeux", un film de Leyla Bouzid

25 décembre 2015, par Untitled Magazine

A 18 ans, Farah est une élève modèle et, détentrice récente d'un Baccalauréat mention très bien, se voit poussée dans les affres logiques d'une destinée tracée pour elle depuis longtemps déjà : elle sera médecin ou ne sera pas. Un déterminisme contre lequel Farah se dresse avec force, brandissant ses poings adolescents vers une Tunisie qu'elle abhorre. Chanteuse dans un groupe de rock, elle fait de sa voix l'instrument privilégié d'une opposition révoltée. Mais dans une Tunisie qui n'a pas encore été marquée par les balles de la révolution, le ton ingénument dénonciateur de Farah la pousse à franchir des frontières férocement défendues par un pouvoir dangereux et manipulateur.

Tourné bien après le départ de Ben Ali, le film se concentre sur la peur ressentie par les tunisiens, et surtout par sa jeunesse, sous l'ère dictatoriale : Au début du film, Farah (Baya Medhaffar) et son petit ami Borhène (Montassar Ayari) s'embrassent cachés derrière un arbre ; rapidement, une personne s'approche et provoque par son arrivée la séparation effrayée des deux amants, réveillés par un sursaut d'angoisse. Leyla Bouzid imprime cette frayeur latente et permanente dans la trame de son scénario, qui met en scène une multiplicité de personnages dont les traits se tirent doucement à force d'inquiétude. La peur de la délation et du complot qui innervent les rapports se superposent à la paranoïa d'une mère (Ghalia Benali) nourrie au biberon d'une soumission résignée. La surveillance se déploie dans les rues, dans les bars, au cœur des foyers mêmes, et s'incarne par la présence policière, l'auto-censure culturelle mais aussi par la présence d'Alhem (Najoua Mathlouthi), femme de ménage de la famille et confidente de Farah, qui illustre cette veille étouffante.

© Shellac © Shellac

Pourtant, l'âme qui traverse le film semble refuser cet abattement contraint. La peur s'efface devant la vitalité foudroyante du personnage de Farah, qui décide d'ignorer ces préoccupations affolées pour se tourner vers la vie, une vie qui ne s'excuse pas. Cet effarouchement s'incarne avec poésie dans la bande-son du film, composée brillamment par Khyam Allami, qui mêle à la vibration mélancolique du luth la mélodie de paroles empreintes d'une amertume et d'une colère singulières. Cette musique porte le film à bout de bras, lui donnant une résonance et une profondeur locale qui permettent d'ouvrir une réalisation somme toute assez commune.

© Shellac © Shellac

On aurait souhaité que Leyla Bouzid investisse plus les personnages secondaires, notamment les jeunes qui accompagnent Farah dans son groupe de rock, qui s'opposent trop faiblement à la vitalité insouciante de Farah et qui empêchent la réelle imprégnation du spectateur. On sent la peur, on la voit, mais elle n'étouffe pas, elle n'emporte pas, elle ne convainc qu'à moitié : On aimerait sortir révoltés, imprégnés de la fureur qui a mené au renversement révolutionnaire. Si l'attention portée aux tâtonnement adolescents aurait pu souligner la découverte maladroite d'un monde marqué par l'injustice, elle étouffe en fait le propos sous d'agaçants accès juvéniles : le film ne marque pas malgré la qualité des compositions de Khyam Allami et des paroles de Ghassan Amami, qui continuent de raisonner avec une force évocatrice.

https://www.youtube.com/watch?v=oWX2o9-MZbc


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