Des corps imprimés, un fond noir, des formes blanches, mille interprétations possibles. Un leitmotiv, la trace. Ces corps nous arrivent comme des tâches d'encre dessinés, absorbés par un buvard. Voilà la performance offerte au Musée Picasso mercredi 30 avril 2016.
Corps Noir, performance interprétée par la danseuse Stéphanie Fuster et mise en scène par Aurélien Bory nous a laissé à voir, à deviner plus précisément, un corps en mouvement, un corps réinterprété. Dansant, il s’est exprimé sur la toile. Par pression, par impression, il use de sa chaleur pour laisser sa marque.
Une marque appuyée dans le sable que le vent balaye, un dessin sur une vitre embuée qui disparaît, un mouvement qui s’essouffle, un sillage infini. Les corps paraissaient dans le bruit sourd d’une bande qui passe. Nébuleux, les sons sont sourds et indescriptibles, comme enfermés dans un espace lointain et inaccessible. Le mouvement tracé est lui aussi insaisissable, il apparaît, disparaît, se transforme. Rien n’éest fixe. Les gestes saccadés, les mains en l’air, les mains en bas, le bassin de face, la poitrine de profil : le tout prend forme dans une chorégraphie presque tribale, nous rattachant à ce que l’on ne voit pas, à ce corps qui se meut, à un corps qui danse. Puis une ligne verticale très droite de bombes de peinture noire vient tout recouvrir, plongeant progressivement ce qui est visible dans l’obscurité. Des gestes qui s’impriment à nouveau, des corps figés, une disparition et ce bruit sourd qui ne s’arrête pas.
Ces morceaux de corps dessinés font écho aux excroissances développées dans les représentations de Picasso, à son travail sur la perception démembrée, à son travail sur le mouvement, à son désir de poser sur le plat de la toile, noire ici, l’agilité assemblée par la vue, imaginée par l’ouïe, désirée par la main. Permettant un regard sur l’action et sur le mouvement décomposé, cette performance lente et calme mesure l’importance du déplacement, du corps dans l’espace. Poétique et doux, ce moment passé inscrit le temps au même niveau que l’acte : éphémère, fugace et à jamais retrouvé.
(c) Aurélien Bory